Janvier

Le 7 janvier 1998.
Ma Sandre,
Ce début d’année en ta compagnie m’a été très doux. Nous allons bientôt entamer une nouvelle étape dans notre rapprochement, et ça ne pourra qu’intensifier notre lien. J’espère que tu as repris confiance dans notre avenir.
Sortie aujourd’hui du Titanic, le film aux deux milliards de francs. Toutes les critiques entendues sont élogieuses : le réalisateur va gagner son pari. Le petit village de Champagne est en lutte avec le gros comité des vins de champagne. Conflit cocasse sur l’appellation si enviée. Biscuits, fromages et vins issus de cette localité se parent de la dénomination pour indiquer le lieu d’origine. Un traité franco-suisse protégerait ce mot au bénéfice de la région française. Voilà pour ce breuvage adoré.
A te retrouver très vite. De gros et chauds baisers.
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Le 8 janvier 1998.
Ma coquine,
Tu as bien raison de souligner l’amélioration de notre complicité et la sérénité croissante qui l’accompagne. Mon envahissement semble avoir des effets bénéfiques. Objets et vêtements, papiers et ouvrages hantent tes placards, tes étagères, et bientôt je serai présent en chair, en os et en poils.
L’ouragan qui a sévi dans le Nord-Pas-de-Calais n’a pas épargné grand chose sur son passage.
Le métier de passementier, avec les métiers Jacquard, consiste dans la fabrication de rubans. Il en reste cinq dans la région de Saint-Etienne. Le reportage vu rejoint la conversation eue avec ton papa. A la fin des années soixante, près de quatre cents machines artisanales s’activaient pour la production de rubans. [..]
J’espère t’embrasser bientôt.
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Le 9 janvier 1998.
Ma douce et bien-aimée,
Nos entretiens téléphoniques m’apportent toute la douceur dont j’ai besoin. Se sentir lié par une même volonté conforte ma détermination. Dans les jours prochains, je vais rédiger mes propositions à Vanessa afin d’organiser ma collaboration à distance.
Réflexion d’un chômeur occupant une antenne Assedic : « Nous, on est le peuple, on n’a pas besoin du gouvernement, il est minoritaire ! » Le réveil de cette frange de la population pourrait-il préfigurer une éventuelle explosion sociale ? Trois millions de personnes n’ayant plus rien à perdre... Le désespoir peut entraîner très loin...
Ma calligraphie est curieuse, non ? L’allongement de l’écriture s’est réduit au profit d’un éclatement un peu désordonné.
Les machines à sous ont sauvé les casinos en France. De nombreux retraités y jouent. Les machines représentent près de 90 % du C.A. des établissements. Voilà mes quelques digressions, sans oublier de te serrer très fort contre moi.
Baisers et caresses... notre programme amoureux.
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Le 14 janvier 1998.
Ma Sandre aimée,
Voilà plusieurs semaines, et même plusieurs mois, que notre entente croît. Certes nous avons de multiples progrès à faire l’un envers l’autre pour combler les attentes respectives, mais notre rapprochement (qu’il soit progressif ou soudain) m’apparaît comme une vraie solution d’épanouissement.
La période qui s’annonce ne va pas être très simple pour moi, mais sache que mes sentiments s’ancrent au tréfonds et que ton amour pour moi m’est essentiel.
Mes choix se feront pour te causer le moins de désa­gréments possibles et pour parvenir à notre plus rapide rapprochement.
Le pétillement, l’envie de me battre, de prendre le monde à bras le corps me reviendront certainement. Déjà ce tracé me donne le goût de vivre... et la caresse de tes courbes avive ma passion de l’existence. Je ne sais si je suis celui qu’il te fallait, mais mon lien à toi ne demande qu’à se renforcer.
De tendres pensées d’amour, ma Sandre de velours.
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Le 26 janvier 1998.
Ma Sandre,
Bien sûr que je veux nous donner notre chance ma Sandre, c’est l’essentiel de ma pensée même si ça ne se traduit que timidement dans les actes. Mon choix pour toi est fait, mais je suis lié par des obligations.
Une fois que ma situation transitoire sera passée, crois bien que je mettrai toute ma foi et mon énergie pour la construction de notre foyer.
Je suis bien conscient de tout ce que tu fais ma Sandre, j’en suis même parfois gêné. Je sais aussi tes propres échéances et l’angoisse que cela entraîne.
En tout cas, ne crois pas que je manque de certitudes dans mon cœur, mais on ne peut faire tout ce que l’on souhaite aussi vite qu’on le désire, tu le sais mieux que moi.
J’espère que ma venue plus fréquente te rendra plus heureuse et joyeuse, et non plus morose. Ce n’est évidemment pas l’objectif d’amplifier les côtés sombres.
Je t’enlace.
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Février

Le 6 février 1998.
Ma tendre aimée,
L’occasion de t’écrire quelques douceurs en attendant de t’apporter la sécurité...
L’hibernation de cette période ne doit pas ternir nos caractères. Il faut que je me dégage du temps pour faire mes enquêtes sur des localités du Rhône, maintenant que j’ai plein de titres à rééditer.
Double impression face au temps qui passe : sa lenteur face à l’attente pour te retrouver et sa rapidité au vu des choses à faire.
Notre Saint-Valentin se fera en intimité, dans les bras l’un de l’autre, et ce sera très bien comme cela.
S’il fait un peu plus doux à ma prochaine venue, nous pourrions aller goûter aux plaisirs de la promenade en nature.
Je t’embrasse très fort.
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Le 10 février 1998.
Ma Sandre,
Merci pour l’attestation. J’envoie le dossier de constitution aujourd’hui.
Terrible sentiment que tu peux avoir. Il me faut faire plus de bruits pour que tu me sentes, hé hé. Il est vrai que mon effacement correspond à la volonté de ne pas peser sur toi avec mes propres problèmes. Je vais m’arranger pour équilibrer les choses.
Nous pourrons bien sûr aller à La Part-Dieu bibliothèque samedi.
Je crois à ce projet d’antenne éditoriale indépendante. Du temps... reste le mot clef.
A te retrouver, tendrement.
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Jeudi 19 février
Voilà tout juste vingt-deux mois que j’ai rencontré ma Sandre et nos liens sont plus que jamais renforcés.
Le projet de monter une antenne associative de la collection MVVF se précise. Lors de ma rencontre avec André P., professeur et directeur des Presses universitaires de Lyon, pour la réédition de son ouvrage Vienne antique (paru chez Horvath), j’ai fait état de ma recherche d’une adresse à Lyon pour l’association Histoire locale, en cours de constitution. Il m’informe que son épouse dirige les Editions lyonnaises d’art et d’histoire sises 13, quai Claude Bernard à Lyon (69007). Lundi dernier, entrevue avec cette dame. Très bon contact : accord pour que j’utilise cette adresse gracieusement et, lorsque l’activité sera lancée, que je loue un bureau à ce même endroit.
Emprunt à la bibliothèque municipale de La Part-Dieu de l’œuvre en quatre volumes (reliés en trois) d’Henri Billet intitulée Beaujolais-Forez-Dombes et parue en 1899. Cela pourrait constituer une de mes premières publications.
Corinne P. des ELAH m’a informé du désastre qui a eu lieu dans le tissu éditorial du département. En mai dernier, le groupe Améthyste, détenteur des éditeurs Horvath, Aubanel, Lugd, etc. a été mis en liquidation, entraînant derrière lui le dépôt de bilan de nombreux micro-éditeurs.
Je vais lancer mes enquêtes tous azimuts concernant les divers ouvrages dénichés.Les Etats-Unis, Bill le lubrique en tête, nous refont le coup du gendarme du monde avec l’Irak

Avril

Jeudi 2 avril
Côté soleil : c’est la fête de ma Sandre que j’aime et avec qui j’envisage une union complice et heureuse. L’association Histoire locale va posséder sa première publication, le monumental Beaujolais-Forez-Dombes, courant de ce mois. J’effectue tous azimuts les actions de promotion et de service de presse pour cette œuvre. Deuxième titre programmé : Bully et sa région de Jean Mirio, magnifique petite commune aux pierres dorées.

Côté sombre : la condamnation de Maurice Papon à dix ans de réclusion pour complicité de crime contre l’humanité. Six mois de procès, dix-neuf heures de délibération des jurés pour une décision « bâtarde » selon le terme de maître Varaut, le ténor du barreau en charge de la défense. L’échevelé Arno Klarsfeld s’est lui félicité de cette graduation judiciaire.
Sans connaître le fond du dossier dans ses millions de pièces, il apparaît tout de même inacceptable qu’un procès se fasse pour stigmatiser des symboles.
Dans le même temps, et comme pour renforcer l’absurdité de la justice, Jean-Marie Le Pen est, entre autres choses, condamné à deux ans d’inéligibilité. La bête immonde n’est pas celui qu’on croît...
Alien passe sur France 3. Je n’avais jamais vu le premier volet de ce film culte. La curiosité humaine jusqu'à la perte.
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Le 20 avril 1998.
C’est bien aujourd’hui, ma Sandre, que nous pouvons fêter nos deux ans de complicité persévérante et amoureuse.
Cette aquarelle acquise Gare du Nord te rappellera le quartier de la Mouff’ où nous avons partagé de très doux moments.
T’embrasser et te serrer pour cette troisième année que j’espère fructueuse et constructive...
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Juin

Samedi 20 juin
De retour à Lyon, quittée depuis mercredi pour une visite éclair au château d’Au. Pas de fête des pères cette année, comme probablement les suivantes. Heïm est trop en désaccord avec les voies suivies par ses proches. Je lui ai toutefois offert l’édition originale des
Décombres, de Lucien Rebatet, parues en 1942 aux éditions Denoël. La version publiée quelques décennies plus tard par Jean-Jacques Pauvert avait été expurgée des passages infâmes.
La vie quotidienne avec ma Sandre se passe plutôt bien, malgré les coups de fatigue, les exténuations, les désespoirs rapportés. Quel avenir nous réservons-nous ? Une source d’angoisse récurrente chez elle.
Histoire locale garde une taille financière plus que modeste, l’implantation du Beaujolais-Forez-Dombes s’effectuant avec difficulté. Quelques articles parus, mais pas l’allure du grand événement culturel. Je suis toutefois certain de sa qualité éditoriale : lors de mes recherches d’un ouvrage pour Heïm, je suis tombé sur une édition originale proposée à 3 300 francs. Par ailleurs, la librairie parisienne Saffroy, fondée en 1880 et spécialisée dans les ouvrages généalogiques, en est à six collections achetées à Histoire locale et l’a fait figurer dans les nouveautés de son catalogue (n°346), gage incontestable de la qualité du titre choisi. L’historique à ce niveau et dans ces prix s’écoule malheureusement très doucement.
Je dois, en outre, trouver le moyen de rééditer plusieurs titres en attente : A travers les rues de la Calade de Joseph Balloffet (frilosité des libraires de Villefranche-sur-Saône), Histoire de Beaujeu - Sous le signe du Rateau de Marius Audin (souscription en cours chez l’unique libraire de la commune) et enfin Le pays et le vin beaujolais de Léon Foillard et Tony David (promotion auprès des producteurs vinicoles du Beaujolais en cours). Le travail ne manque pas, mais l’explosion d’enthousiasme et le décollement des commandes se font attendre. J’assure tout juste l’extrême minimum d’autonomie financière, mais ma grand-mère est toujours là.
Je vais parallèlement tenter de décrocher quelques collaborations dans des journaux régionaux et de donner des cours de français dans un ou plusieurs établissements privés.
Côté thèse, je dois sérieusement me botter les fesses. Marc D. a répondu à mon récent courrier et me propose qu’on se rencontre après les vacances pour faire le point de l’avancement de mes recherches et de la rédaction éventuelle. Il me propose, pour l’année universitaire prochaine, d’intervenir dans un de ses séminaires pour un exposé en rapport avec le genre pamphlétaire et la période 40-60 qu’il aborde plus spécialement. Je dois mettre cet été à profit pour avancer dans mon sujet.
Dans le quatrième numéro du journal Histoire locale, Heïm publie une longue chronique titrée Juste en passant, merveilleusement écrite et qui donne envie de relire sa plume sur l’actualité. Nombre de sujets sont abordés, parmi lesquels la rencontre récente avec le mercenaire Bob Denard. L’écriture est rapide, terriblement efficace, truffée de drôleries et assise sur une épaisseur culturelle hors normes.
Il me faut manier à nouveau la plume et retrouver ce lien quasi-quotidien avec l’écriture. Fricoter progressivement avec les contrées pamphlétaires comme je savais si bien le faire dans Les Gros Niqueurs. Refuser le tarissement de la révolte et multiplier les coups de gueule. Ne pas s’éteindre, quel que soit le parcours choisi.
Vraie satisfaction de partager la vie avec ma Sandre, mais je dois être attentif à ne pas me désarmer, m’amollir et me contenter d’une superficialité intellectuelle funeste. La rédaction de ma thèse n’en sera que plus aisée.
Le Mondial de football s’impose dans toutes les voies médiatiques. Si le martèlement est pénible, je me suis laissé tenter plusieurs fois pour le spectacle grégaire de certains matchs. La virtuosité des Zidane et Ronaldo est incontestable et charme l’amoureux des choses bien exécutées. Je ne rechigne donc pas à écouter les relations de Thierry Roland et les analyses de Jean-Michel Larqué, mais sans bière.
Ce substitut aux arènes de naguère ne doit pas assez défouler les bestiaux enivrés qui se livrent à la guérilla urbaine. Le gros handicap de notre démocratie réside dans la mollesse de sa répression face aux casseurs. Choisir quelques hooligans et les pendre aux fourches patibulaires pour témoigner d’une réelle détermination à ne pas laisser ces raclures survivre à leurs méfaits.
Avec la chaleur caniculaire revenue, nous attendons fébrilement la piscine du Domaine [résidence privée à Tassin] qui prend forme jour après jour.

Octobre

Mardi 6 octobre
Une bonne résolution pour mes vingt-neuf ans bien sonnés ? De passage à Lutèce avant de rejoindre la capitale des Gaules, je dois faire le point.
Depuis que mon choix s’est arrêté sur une vie quotidienne avec ma Sandre, je sens une sérénité retrouvée. Même si l’épanouissement n’est pas total, une envie profonde de construire avec elle s’affirme les jours passant. L’avenir semble pourtant moins rose que jamais : dans sept mois, adieu aux revenus stables d’interne de médecine, plongeon sans arrière financier dans le monde professionnel.
Moi, à moins de décrocher l’agrégation (je tente de la préparer par le CNED, mais je pars largement défavorisé en latin, espagnol et ancien français), je n’aurais pas encore de sources assurées. Mes activités s’éclatent entre l’association Histoire locale, mes conférences et séminaires dispensés à l’institut Galien, les quelques dossiers juridiques éventuels pour le château, la préparation de l’agrégation de lettres modernes et la poursuite de ma thèse. Ouf ouf ! Eparpillement un peu prononcé tout de même, mais bon...
Pour Histoire locale, parution de son quatrième ouvrage intitulé Le pays et le vin beaujolais par Léon Foillard et Tony David paru pour la première fois en 1929. Je rencontre jeudi prochain Nadjette M., journaliste et animatrice d’une émission sur TLM. Peut-être une focalisation sur mon dernier titre lors de la sortie du beaujolais nouveau. A suivre.

Dimanche 18 octobre
Fini de corriger les quarante-huit copies des Pharmacies en culture générale pour l’institut Galien. Le niveau n’est pas brillant : 8/20 de moyenne et une fourchette de 3 à 14,5. Peut-être suis-je trop sévère. L’objectif étant de les préparer au concours, il vaut mieux se montrer plus tatillon que pas assez.
Pour la promo du Pays et vin beaujolais : je dois faire une émission en direct sur TLM (Télé Lyon métropole) avec la charmante Nadjette M.
Achèvement de mon plan détaillé de thèse, remanié et approfondi. J’espère qu’il satisfera Marc D.
Nous allons nous promener cette après midi avec ma Sandre dans les beautés automnales des alentours lyonnais, voire du Beaujolais. Une vie partagée toujours aussi harmonieuse qui conforte mon choix.
Les lycéens s’amusent à la grève, et les casseurs en herbe de la banlieue parisienne en profitent. Curieuse façon pour le ministère de l’Intérieur d’appréhender et de maîtriser des menaces claironnées par tous les médias. Si Chevènement semble n’avoir subi aucune séquelle de son coma, son ministère présente d’évidentes faiblesses réactives.

Mardi 20 octobre
Et rebelote chez les petites frappes de la casse. Nouvelle manif des citoyens en herbe, nouveau moyen pour certains de se dispenser de cours, et le sempiternel scénario éculé du rebelle de pacotille contre le flic matraqueur. Je me lasse de cette civilisation attardée.
Je retourne aux délires mallarméens et à son taedium vitae.